Patrimoine du jeu vidéo : quels enjeux ? Quels acteurs - Table-ronde du 3 octobre 2019 à la médiathèque de Rezé
17 octobre 2019
Le 3 octobre 2019, j’ai assisté à une table-ronde intitulée Patrimoine du jeu vidéo : quels enjeux ? Quels acteurs ?, organisée conjointement par la Médiathèque Diderot de Rezé, le CNJV (Conservatoire National du Jeu Vidéo) et le cluster des professionnel·le·s du jeu vidéo Atlangames. Cet événement avait pour objectif la rencontre de professionnel·le·s du jeu vidéo, de la médiation culturelle et des archives et du CNJV autour des questions liées à la politique de conservation du patrimoine vidéoludique.
La table-ronde comptait Bertrand Brocard, président du CNJV, Vincent Baillet, consultant en jeu vidéo et Serious Games, Philippe Ulritch, co-fondateur de Cryo interactive, musicien et auteur et Ronan Viaud, responsable du service Mémoire et Patrimoine de la Ville de Rezé. Elle était modérée par Laura Portevin, responsable des actions culturelles de la médiathèque de Rezé.
L’histoire du CNJV
Bertrand Rocard a tout d’abord présenté le CNJV, dont la création est liée à sa propre histoire et celle de la création de Cobrasoft dans les années 1980. Il a gardé des archives, puisqu’il était à la fois créateur et éditeur. Alors que l’intérêt de certaines personnes issues de la Recherche commençait à émerger, la vente de sa maison l’a poussé à s’interroger sur la conservation de ces archives. C’est ainsi que s’est mis en place le CNJV, sous la forme d’une association.
Deux colloques ont eu lieu avec la BnF en 2017 et 2018, puis une rencontre avec la Cité des sciences en 2019 autour des métiers. Le lien avec la BnF est assez évident, puisque depuis 1992 a été mis en place le dépôt légal des jeux vidéo en 3 exemplaires, même si bon nombre de professionnel·le·s ne le font pas, par méconnaissance ou par manque d’intérêt.
Le positionnement du CNJV ne concerne pas la conservation du produit fini, mais plutôt du parcours intellectuel et créatif, de l’idée à la boîte. Cependant, comme la conservation et l’indexation ne sont pas le metier des membres du CNJV, cela soulève plein de questions.
Pour faire le lien avec des structures similaires dans leurs objectifs, Ronan Viaud cite :
- l’IMEC : créé à l’initiative de chercheurs et de professionnels de l’édition, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) rassemble, préserve et met en valeur des fonds d’archives et d’études consacrés aux principales maisons d’édition, aux revues et aux différents acteurs de la vie du livre et de la création contemporaine : éditeurs, écrivains, artistes, chercheurs, critiques, graphistes, libraires, imprimeurs, revuistes, traducteurs, journalistes…
- Les archives du Père Castor qui collectent y compris des dessins refusés ou une première esquisse.
Jusqu’où collecter ?
Vincent Baillet a très justement soulevé la difficulté de collecter ce qui relève du vécu : quid de la mémoire, de l’ambiance… L’interview d’un·e journaliste n’aurait-elle pas alors plus de valeur que des documents de travail ?
Ronan Viaud a rappelé que, dans les métiers des archives, on parle des 4 C, collecter, conserver, classer et communiquer et que l’archive est définie par la loi comme l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité.
En pratique, la question de savoir ce qu’on garde est compliquée : il y a des obligations, mais les archivistes définissent généralement des règles plus grasses. Par exemple, à Rezé, il y a un quartier issu du mouvement des Castors, dont les archives municipales ont les plans. Mais, pour pouvoir raconter cette histoire, c’est bien de garder aussi des témoignages, les photos familiales, des enregistrements…
Les difficultés du collectage :
Le fait de collecter plus largement peut poser des problèmes d’espace. Pour cela, il est nécessaire d’éviter de conserver ce qui existe déjà et donc de connaître ce qui se passe ailleurs.
Pour que d’autres personnes puissent s’en emparer, il est indispensable de faire un inventaire et de classer et cela nécessite des compétences.
Il y a urgence, puisque les créateurs et créatrices vieillissent. Ronan Viaud y répond qu’en archive, on a également les deux D, Décès et Déménagement, auxquels il faut être vigilant·e puisqu’ils peuvent déclencher dépôt ou perte. Mais pour cela, partir des noms ne suffit pas toujours, puisqu’il y a des pseudonymes, des équipes dont on ne connaît pas les noms de famille.
La question du format est une vraie difficulté : le jeu vidéo est multimédia, avec du graphisme, du son, de la programmation, de l’écriture et de l’interactivité et parfois les formats ont une vie courte. Philippe Ulritch a raconté la création d’un émulateur de MO5 qui permette de récupérer les jeux créés par les professeurs dans le cadre du programme Informatique pour tous.
Cela pose aussi la question du secret industriel et de la propriété intellectuelle. Vincent Baillet raconte ainsi qu’il travaillait pour Sony au début de la Playstation et que ça lui paraît compliqué de transmettre ces archives ou, autre exemple, de donner le croquis d’un jeu qu’on a vendu.
Ronan Viaud précise qu’en effet sur des archives privées, on pose des règles cohérentes avec la propriété intellectuelle et qu’on peut définir de l’incommunicable. La protection de la vie privée, par exemple, impose un délai de 50 ans après le décès de la personne. Le travail de l’archiviste consiste notamment à proposer certaines protections et de définir si c’est un dépôt ou un don.
Bertrand Brocard a soulevé le problème des moyens : le CNJV doit identifier les acteurs, informer sur l’importance de la conservation, collecter, classer, communiquer… Il leur faut notamment des moyens humains, démontrer que les besoins sont là et des compétences en archivistique.
Ronan Viaud a conclu en expliquant que le S de sauvetage est bien souvent issu d’initiatives individuelles, nécessaires à la construction d’une Histoire complexe et que le rôle du politique est de financer ces lieux.