Vote électronique - l'impossible conjonction de l'anonymat, de l'unicité et de la dématérialisation, par Chantal Enguehard - FDLN, 13/02/2020
14 février 2020
J’ai eu la chance d’assister à une conférence autour du vote électronique dans le cadre du Festival des Libertés numériques, le 13 février 2020 à la BU de Nantes. Elle était menée par Chantal Enguehard, maîtresse de conférence en informatique, et s’intitulait Vote électronique - l’impossible conjonction de l’anonymat, de l’unicité et de la dématérialisation.
Cette soirée s’est avérée passionnante. J’avais jusqu’alors un avis plutôt négatif sur les machines à voter, sans pour autant avoir des arguments très assurés. Madame Enguehard, qui travaille depuis longtemps sur le sujet, nous a proposé une synthèse de ses recherches, qui ne font que confirmer à quel point les questionnements techniques sont toujours politiques.
Elle a commencé par quelques bases.
Tout d’abord, le vote : celui dont il est question ici est effectué dans le cadre de la démocratie représentative et conçu comme un moyen d’avoir une décision non-consensuelle, rapide et qui assure la paix sociale. Cependant, pour comprendre la problématique du vote électronique, les sciences politiques ne suffisent pas : il faut également convoquer l’informatique, ainsi que les sciences juridiques.
Les élections doivent respecter un certain nombre de principes :
- L'unicité du vote : une personne = une voix
- la confidentialité : la personne est seule au moment de son choix (d’où l’importance de l’isoloir)
- l'anonymat : l’impossibilité de relier un vote à un·e électeur·ice
- la sincérité : elle est garantie par le dépouillement public et des règles de vigilance (par exemple le fait de ne pas laisser une urne sans surveillance)
- la transparence : c’est la capacité à constater les atteintes aux principes précédents, par exemple par la mise en place d’urnes transparentes en 1980.
- le contentieux électoral.
La transparence est un continuum, qui permet de constater le respect des principes d’unicité, de confidentialité, d’anonymat et de sincérité tout au long de la procédure. Quand on traite de la problématique du vote électronique, on l’aborde souvent sous l’angle de la sécurité. Pour la conférencière, la problématique majeure est avant tout la transparence.
En 1969, les premières machines à voter ont été mises en place en France, dans les “banlieues rouges” et en Corse. L’électeur·ice était donc vu·e comme une personne dangereuse ! Dans les années 2000, les industriels se sont appuyés sur la législation des années 1960 (c’est pourquoi on parle de “machines” et non d'“ordinateurs” de vote)… En France, 1,3 millions de personnes votent par ce biais, dans 66 villes. Mais comme l’explique un des fournisseurs de ces machines, “les résultats sont sûrs à 100 %, (…) ils n’ont pas besoin d’être vérifiés”.
Madame Enguehard nous a présenté quelques arguments qui permettent d’en douter.
Tout d’abord, comment vérifier la sincérité des résultats s’il y a respect de l’anonymat ? Trois modalités de vérification seraient possibles, mais aucune n’est satisfaisante :
- la vérification par approximation (par exemple à partir d’estimations statistiques) transformerait le sondage en référence ;
- la garantie apportées par les traitements, c’est-à-dire la vérification des logiciels, est très compliquée car il faut tout prouver : la version, le compilateur, les composants… Et elle ne met pas à l’abri des bugs d’exécution.
- la preuve de résultat est impossible : comme le vote est secret, on ne peut comparer les entrées et les sorties.
La conférencière nous a ensuite présenté un vote par Internet qui nécessite l’identification et l’autentification de la personne électrice sur son ordinateur, puis des échanges entre cette machine et les serveurs de vote. Elle a montré que dans cette procédure, la seule protection est le chiffrement du bulletin. Cependant, juste avant ce chiffrement, il existe un point de vulnérabilité où le serveur de vote connaît qui vote pour qui. Dans le cadre d’élections professionnelles, un décret passé dans le code du travail impose de vérifier que l’urne électronique est vide… Ce qui est beaucoup plus facile avec une urne physique et transparente qu’un logiciel.
Enfin, elle nous a présenté les travaux de l’observatoire du vote qui, en comparant des résultats de bureaux de vote équipés d’ordinateurs à ceux ayant les bulletins en papier, a observé que la différence entre émargements et votes est plus importante dans les premiers.
Elle a conclu que les juges et avocat·e·s étant démuni·e·s, le contentieux n’est plus possible… C’est donc la confiance qui disparaît.
Un grand merci à Madame Enguehard, au FDLN et au SCD de Nantes !
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Source de la photo d’illustration par Evilspoon7 CC BY-NC-ND 2.0