Magasinier·es et adjoint·es du patrimoine, même constat ?
20 mai 2020
J’ai eu le plaisir d’assister à une conférence de Laetitia Bracco organisée par le CFCB, intitulée Le métier de magasinier : disparition ou évolution ?, le 10 mars 2020. Ayant toujours travaillé en bibliothèques territoriales, cela m’intéressait de voir de plus près la réalité du travail en BU. Je vous en propose ici ma synthèse, ainsi que quelques comparaisons avec la fonction publique territoriale. Si vous souhaitez retrouver la vidéo de son intervention, je vous invite à cliquer ici.
Quelques définitions
Je vous propose tout d’abord un peu de théorie pour les personnes qui s’intéresseraient à ce sujet sans pour autant connaître l’organisation de la fonction publique et plus précisément de celle des métiers des bibliothèques. Je parle bien de théorie car, on le verra plus tard, le cadre ne correspont pas toujours à la réalité des missions.
Il existe, en France, trois fonctions publiques : la fonction publique d’Etat, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. Les métiers des bibliothèques relèvent en général des deux premières, avec des fonctionnaires d’Etat qui travaillent pour des bibliothèques dépendant des Ministères (c’est le cas des bibliothèques universitaires) et des fonctionnaires territoriaux travaillant pour les collectivités locales et donc au sein de bibliothèques municipales, intercommunales ou départementales. Dans ces deux fonctions publiques, des grades définissent les modalités de recrutement et de rémunération ainsi que le type de missions exercées. Chaque grade porte un nom particulier et correspond à une catégorie (A pour les cadres, B pour les professions intermédiaires, C pour les exécutant·es). On le verra, la réalité est plus compliquée que cela.
Dans ce billet de blog, nous allons nous intéresser aux catégories C, c’est-à-dire :
- Dans la fonction publique d’Etat, les magasinier·es
- Dans la fonction publique territoriale, les adjoint·es du patrimoine
Le mémoire de Laetitia Bracco
Laetitia Bracco est actuellement data librarian au sein de l’Université de Lorraine mais c’est avant tout pour son mémoire de conservatrice Le métier de magasinier en bibliothèque universitaire : disparition ou évolution ? qu’elle était invitée.
Elle s’est intéressée à ce sujet alors qu’elle encadrait des magasinier·es et s’épatait de la diversité et de l’hétérogénéité de leurs missions, alors que la littérature professionnelle en parle peu (en 2016, seulement 9 références sur les magasinier·es dans la bibliothèque numérique de l’Enssib, dont 7 rapports de jury) et que leur déroulé de carrière semble figé. Elle avait également envie d’aller plus loin qu’une description stéréotypée de ces métiers que l’on imagine parfois voués à la disparition avec le grand remplacement du numérique, les automates de prêt et les moniteur·ices étudiant·es. Elle a donc multiplié les sources et a procédé à 15 entretiens dans des bibliothèques variées.
Un métier hors-norme
Laetitia Bracco est revenue sur le cadre administratif du corps des magasinier·es. Au moment de la création de celui-ci, en 1967, les missions relevaient avant tout des collections et de la surveillance des salles. Le décret actuel, modifié en 1988, mentionne plus l’accueil, mais reste cependant assez restrictif quant aux missions :
Les magasiniers des bibliothèques accueillent, informent et orientent le public. Ils participent au classement et à la conservation des collections de toute nature en vue de leur consultation sur place et à distance. Ils assurent l’équipement et l’entretien matériel des collections ainsi que celui des rayonnages. Ils veillent à la sécurité des personnes ainsi qu’à la sauvegarde et à la diffusion des documents. Ils effectuent les tâches de manutention nécessaires à l’exécution du service.
L’encadrement est normalement réservé aux magasiniers principaux, dont le recrutement se fait sur concours.
Je me suis amusée à regarder ce qu’il en était pour les adjoints du patrimoine. Le décret qui date de 2006 évoque tout d’abord des missions similaires :
Les adjoints territoriaux du patrimoine de 2e classe peuvent occuper un emploi : (…) de magasinier de bibliothèques ; en cette qualité, ils sont chargés de participer à la mise en place et au classement des collections et d’assurer leur équipement, leur entretien matériel ainsi que celui des rayonnages ; ils effectuent les tâches de manutention nécessaires à l’exécution du service et veillent à la sécurité des personnes ;
Mais on note une plus grande diversité dans les missions pour les adjoints du patrimoine de 1ère classe, au-delà de l’encadrement :
Les adjoints territoriaux du patrimoine de 1re classe assurent l’encadrement des adjoints du patrimoine de 2e classe placés sous leur autorité. Des missions particulières peuvent leur être confiées. Ils peuvent être chargés de tâches qui nécessitent une pratique et une dextérité particulières. Lorsqu’ils sont affectés dans les bibliothèques, ils sont particulièrement chargés de fonctions d’aide à l’animation, d’accueil du public et notamment des enfants, et de promotion de la lecture publique. Ils participent à la sauvegarde, à la mise en place et à la diffusion des documents. Ils assurent les travaux administratifs courants.
Et quand il s’agit des adjoints territoriaux principaux, c’est la fête de la haute technicité :
Les adjoints territoriaux du patrimoine principaux de 2e classe assurent le contrôle hiérarchique et technique des adjoints territoriaux du patrimoine de 2e classe et de 1re classe. Des missions particulières peuvent leur être confiées. Ils peuvent être chargés de tâches d’une haute technicité. Les adjoints territoriaux du patrimoine principaux de 1re classe assurent le contrôle hiérarchique et technique des adjoints territoriaux principaux du patrimoine de 2e classe et des adjoints territoriaux du patrimoine de 2e et 1re classe. Des missions particulières peuvent leur être confiées. Ils peuvent être chargés de tâches d’une haute technicité.
Le recrutement
C’est bien gentil de faire des copier-coller de statuts, me direz-vous, mais à quoi servent-ils s’ils ne représentent pas la diversité des missions des magasiniers ? Les statuts sont importants notamment quand il est question de concours, puisque les épreuves de ce dernier doivent coller au statut.
Laetitia Bracco a épluché les rapports de concours de l’IGB (Inspection Générale des Bibliothèques), qui reconnaissent cette déconnexion entre les statuts et la réalité. On note par exemple une épreuve de classement de fiches à l’oral ou une sureprésentation de l’équipement matériel du document face à des ressources numériques quasi-absentes.
Néanmoins, le recrutement sans concours des magasinier·es est privilégié, afin d’éviter les personnes sur-diplômées (rappelons que les catégories C correspondent normalement à un niveau Brevet), de laisser une chance aux personnes moins à l’aise avec l’écrit et de pouvoir recruter sur place et éviter les mouvements de personnel. Depuis 2001, on observe une très forte baisse de postes ouverts au concours et on recrute plus en externe qu’en interne.
Un fort décalage cadre/fonctions
A partir de 40 fiches de postes, Laetitia Bracco a synthétisé les activités des magasinier·es.
86 % des fiches comportent des activités de coeur de métier (accueil, rangement, chantiers sur les collections physiques, surveillance, sécurité, équipement), mais il y a plein d’autres missions non-prévues dans le statut : la formation, le catalogage, les services au public, la gestion interne… Par exemple,41 % des fiches mentionnent l’animation de visites, 32 % l’assistance aux appareils numériques et 22 % la conception d’actions culturelles.
Elle définit 5 grands profils qu’on ne retrouve pas dans les référentiels métiers et statuts :
- traditionnel : coeur de métier
- collections : valorisation et catalogage
- manager : souvent en plus du profil traditionnel
- médiateur : notamment des actions culturelles
- administratif : planning, statistiques…
Ca pose des question sur les formations nécessaires et sur l’impact de l’évolution du métier, notamment la professionalisation et la valorisation de l’accueil ou des formations.
Je me suis amusée à télécharger les 50 premières annonces (sur 56) correspondant aux grades d’adjoint du patrimoine, principal ou non publiées à ce jour sur emploi-territorial et d’établir quelques statistiques. Elles ne sont bien entendu pas représentatives, mais cela permet de faire quelques liens avec ce qu’on évoquait sur les magasiniers :
- 56 % des annonces recrutent sur l’unique grade d’adjoint territorial du patrimoine.
- 22 % des annonces recrutent sur tous les grades d’ajoint et d’ajoint principal.
- 8 % des annonces recrutent sur l’unique grade d’adjoint territorial du patrimoine principal de deuxième classe, sans qu’il n’y ait de différence marquantes avec les autres annonces.
- Aucune annonce ne propose le grade d’adjoint territorial principal de 1ère classe.
- Quelques annonces proposent un grade d’adjoint territorial du patrimoine principal de deuxième classe ou adjoint territorial du patrimoine.
- Plus de 10 % des annonces recrutent sur des grades mêlant allégrement catégorie C et B, souvent sur des postes de responsables de service ou de secteur.
Plus d’une annonce sur 5 demande un niveau de diplôme supérieur au brevet des collèges, notamment un BAC + 2 Métiers du livre (y compris pour des annonces ne recrutant pas de catégorie B). On note également une vraie diversité dans les missions, avec, comme pour les magasinier·es, des postes qui sortent des missions coeur de métier. La polyvalence et le temps de travail dépendent également de la taille de la collectivité.
Un ressenti ambivalent des agents
Laetitia Bracco s’est appuyée sur 15 entretiens anonymes avec des magasinier·es aux profils variés. Elle nous a précisé que cela remettait en cause bon nombre de stéréotypes, notamment ceux de la jeune surmotivée et du vieux magasinier refractaire aux changements. Elle a noté les sentiments suivants :
- La frustration : quand le statut sert à refuser des initiatives ou bien à cause de tâches répétitives, mais aussi par rapport au salaire et à l’évolution de carrière.
- La crainte, liée à la multiplication des missions qui s’accompagne d’une perte de sens et d’un manque de formation.
- De la passion et de l’enthousiasme, malgré le manque de reconnaissance.
- Une attention portée aux collègues, en évitant la mise en concurrence.
Il serait intéressant d’interroger les adjoint territoriaux du patrimoine sur ces sujets. J’ai pour intuition qu’on retrouverait beaucoup de ces éléments.
Pour les magasinier·es interrogé·es, le statut qui ne correspond pas à la réalité doit évoluer. Malgré l’enthousiasme, le déroulé de carrière et le salaire ne sont pas satisfaisants, le terme est inadapté et il existe une très forte méfiance face au concours. L’avenir fait débat et il existe des points de crispation autour de l’encadrement d’agent·es aux aspirations très variées, le fait d’avoir un bureau à soi ou encore de certaines missions dévolues avant tout aux catégories A et B comme le renseignement.
Il y a donc plein de choses à imaginer pour faire évoluer les choses. J’ai beaucoup aimé une des phrases de conclusion de la conférencière, qui propose de s’appuyer sur les parcours et compétences pour faire de beaux postes.