Lecture - Bâtonner, de Sophie Eustache
19 août 2020
J’ai récemment terminé Bâtonner : comment l’argent détruit le journalisme, de Sophie Eustache, journaliste. Ce livre d’une centaine de pages paru aux éditions Admsterdam est le fruit d’une enquête collective auprès de journalistes et d’un passionnant travail de synthèse des sciences sociales et de critique des médias.
Il part d’un constat : des journalistes se font insulter à la manifestation contre la Loi Travail. Sophie Eustache s’interroge : comment cette situation est-elle possible ? Avons-nous, journalistes, à ce point trahi le peuple ?
Concentration et précarisation
Elle explique dans les courts chapitres de Bâtonner plusieurs choses, notamment l’impact sur le journalisme lui-même de la concentration des médias dans des groupes dirigés par des industriels et de la précarisation des journalistes. Elle-même a du choisir entre de meilleures conditions de travail dans des journaux où il faut “agrandir l’inventaire” (augmenter les espaces publicitaires) ou le statut précaire de pigiste pour une presse indépendante. Sophie Eustache, au-delà de son propre vécu, fait ici un travail de synthèse remarquable.
La course au clic
Le plus percutant dans le livre de Sophie Eustache m’a paru l’explication du fonctionnement des rédactions web. J’y ai découvert les “deskeur·ses” (journalistes qui restent au bureau) dont le travail est de “bâtonner” (faire du copier-coller de dépêches ou d’articles). Leur travail consiste à produire des articles (au moins un par heure) dont le seul but est de faire de l’audience.
Pour faire de l’audience sur le web, pas de secret : il faut écrire pour être bien référencé·e par Google, surfer sur les hashtags tendance, aller vite. La conséquence de tout cela : une information qui n’en est plus, des articles qui se ressemblent, un productivisme sans aucun sens autre que celui du profit, et des algorithmes qui décident de ce qui est porteur ou pas. Cela va jusqu’à des employé·es d’un site d’info-divertissements, qui, sous le statut d’auto-entrepreneur·se, sont payé·es au nombre de clics !
En complément
Pour compléter la lecture de Bâtonner, je vous renvoie également :
- au travaux de l’économiste Julia Cagé qui ont notamment pour conclusion qu’en 2013, le taux moyen d’originalité des articles en ligne est de 36 %.
- au livre Ces cons de journalistes d’Olivier Goujon, photoreporteur qui a collecté de nombreux témoignages de journalistes. Ce livre permet de se rendre compte de la réalité des conditions de travail dans la presse en 2019.