Lecture - L'appétit des géants, par Olivier Ertzscheid
1 octobre 2020
Olivier Ertzscheid est maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’IUT de la Roche-sur-Yon. Il est connu, notamment par celles et ceux qui s’intéressent aux enjeux du numérique, puisqu’il publie depuis 2005 des billets argumentés, denses et engagés sur son blog Affordance.
L’appétit des géants, publié en 2017 par l’excellente maison C&F éditions, est une compilation de plusieurs billets où les géants sont, tel Facebook, ces plateformes avides de nous. Olivier Ertzscheid les analyse, les décortique, prend de la hauteur et brosse un portrait assez complet d’une décennie du Web, de 2007, date de son inscription sur Facebook à la parution de ce livre.
Dix ans de mue du Web
Dans les différents chapitres de ce livre, on peut lire plusieurs billets, classés de façon chronologique. Chaque texte est écrit en réaction à un contexte et j’ai eu l’impression de mesurer, au fil de ma lecture, la temporalité des évolutions du Web. Dès le prologue, Olivier Ertzscheid pointe le changement d’un écosystème documentaire (le World Wide Web) à un outil où les individus, au travers de leurs profils en deviennent l’axe de rotation (Le World Life Web). En lisant l’Histoire en train de se faire, cela permet de prendre la mesure des bouleversements générés, de la création du Web en 1989, alors portée par un idéal malmené par la suite (rappelons que Google est né en 1998 et Facebook en 2004) à l’émergence du capitalisme de surveillance.
Plateformes, Etats et capitalisme de surveillance
Olivier Ertzscheid s’interroge dans le chapitre Les plateformes et la loi sur les règles. Quelles lois s’appliquent aux usager·es de Facebook ? Est-ce la gouvernance algorithme (le Code is law de Lessig) qui préside ? La législation étatique comme quand Facebook s’implante en Chine en acceptant la censure d’Etat ? Ou bien les fameuses CGU, les conditions d’utilisation ? Les plateformes deviennent-elles Etat ? Qui influence qui ? Qui possède le(s) pouvoir(s) ?
Avec l’émergence du World Life Web, de ses tombereaux de données personnelles collectées par les capteurs, les likes, le fichage, les boîtes noires… le « prévoir et détecter est le nouveau surveiller et punir ». Olivier Ertzscheid brosse le portrait d’un futur dystopique déjà présent, un « Hiroshima technologique dont la surveillance des populations sera presque l’aspect le plus anodin ».
Olivier Ertzscheid observe que le lien HTML, engagement cognitif et base du Web, a été peu à peu remplacé par des boutons faisant appel à l’émotion. Ainsi, alors que l’engagement pour le joyeux ou le beau suscite la viralité, on ne trouve pas, en septembre 2015, la photo d’Aylan Kurdi via le moteur de recherche de Facebook. Favoriser un état d’esprit léger et joyeux permet de générer plus d’intéractions… Ce qui est favorable à la plate-forme, rappelons-le.
Et maintenant ?
Face à ce constat inquiétant, Olivier Ertzscheid propose quelques pistes de solutions : un soutien au logiciel libre, une sensibilisation aux enjeux de surveillance afin de décider collectivement de quelle république algorithmique nous voulons. Il existe des associations qui font bouger les choses, comme Framasoft, Exodus Privacy ou Nothing2hide, des actions locales portées par des associations d’éducation populaire et/ou des fournisseurs d’accès à Internet associatifs. Néanmoins, même s’il y a de quoi être fier·es, on voit bien de quel côté est Goliath.