Ce que j'ai appris sur la formation à distance
30 octobre 2020
Ce billet de blog était prévu depuis juin dernier, suite à plusieurs expériences d’animation de formations à distance (FOAD) et de suivi de formations de formateur·ices sur le sujet, mais je n’avais pas pris le temps de le finaliser. Je profite de la deuxième vague et du reconfinement pour remettre le sujet au goût du jour.
Du présentiel au distanciel, au-delà de la simple transposition
Ces derniers mois, on a vu apparaître dans les cahiers des charges de formation des bibliothèques départementales de nouvelles mentions portant sur l’adaptation des formations au distanciel. A la question “Est-ce possible d’organiser une session à distance en cas de mesures sanitaires nous contraignant à annuler le stage ?”, je réponds systématiquement non, car cela va bien au-delà d’une simple transposition : c’est, pour moi, la création d’une nouvelle formation. Je ne suis pas opposée à la faire, mais cela nécessite alors de discuter d’un nouveau cadre technique, du contenu, des dates et du tarif. Toutes les formations ne s’y prêtent pas, tous les objectifs pédagogiques ne sont pas forcément atteignables, et cela implique des pré-requis que le présentiel ne nécessite pas.
Le découpage temporel
Mes formations en présentiel se déroulent généralement sur une ou deux journées, soit 12 à 14 heures au total. Quand il s’agit de les adapter en FOAD, il ne s’agit surtout pas de reprendre les mêmes horaires. En effet, la FOAD, pour qu’elle soit confortable, nécessite un découpage du temps de formation avec une alternance de temps synchrones de temps asynchrones. Je m’explique :
- Les temps “synchrones”, ou “classes virtuelles”, sont les moments où l’ensemble des participant·es se retrouvent avec la formatrice, au même moment, sur la même plate-forme. L’idéal est que ces moments ne durent pas (beaucoup) plus de deux heures.
- Les temps asynchrones sont les moments entre les classes virtuelles, où la formatrice confie aux participant·es du travail individuel ou collectif à faire. La formatrice se retrouve alors dans une posture d’accompagnement : elle est présente pour expliciter les consignes, répondre aux questions et faire un retour individualisé sur le travail fourni. Sur ce sujet, je vous recommande d’ailleurs cette vidéo qui explique comment concevoir des activités asynchrones pour les apprenant·es.
En outre, un des enjeux de la FOAD est le maintien de l’attention. En formation de formateur·ices, on nous a conseillé de suivre la règles des 10 minutes, qui incite à prévoir un changement d’activité toutes les 10 minutes : par exemple, lors d’apports théoriques, faire des quizz réguliers ou d’autres activités qui permettent de rendre les apprenant·es actif·ves.
La conséquence de tout cela est qu’un scénario pédagogique de FOAD doit avoir un minutage beaucoup plus précis qu’une formation en présentiel. En effet, quand j’ai animé une FOAD sur l’animation en bibliothèque, j’avais un déroulé pédagogique avec des séquences très précises, respectant la règles des 10 minutes… Ca permet d’avoir un rythme efficace et de ne pas se faire déborder. Mais c’est un vrai travail de fourmi !
Les besoins techniques
Qui dit formation à distance dit plateforme de visioconférence, sujet ô combien complexe, tellement les critères à prendre en compte sont multiples.
Il est nécessaire de se demander tout d’abord de quelles fonctions on a besoin : chat, partage d’écran, texte collaboratif, création de sous-groupe, etc. On peut toujours multiplier les outils et renvoyer vers des outils externes (par exemple un mur de post-it comme Scrumblr), mais plus on multiplie les outils, plus on augmente les risques de dysfonctionnements et/ou de perdre les participant·es.
Il faut également faire attention à la facilité d’utilisation et d’accès à l’outil : est-il nécessaire d’installer un logiciel ? Des personnes peu à l’aise avec le numérique peuvent-elles se l’approprier ? Pour cela, j’ai pu observer que Jitsi.meet brille par sa simplicité : juste un clic pour y accéder, une interface épurée et un fonctionnement qui s’est grandement amélioré ces derniers mois. Il propose peu de fonctions (visio et chat), mais est très adapté pour des personnes peu à l’aise.
La question de l’éthique est également importante. On a pu observer lors du premier confinement de nombreuses problématiques de fuites de données ou de failles de sécurité liées à Zoom. Utiliser Teams ou Google Meet revient à utiliser (et faire utiliser) des outils des GAFAM. Certain·es, comme moi, privilégient le logiciel libre comme BigBlueButton, mais d’une part, nous ne sommes pas toujours en mesure de choisir nos outils, d’autre part, certains outils nécessitent d’être hébergés.
Cela permet de rebondir sur la question du coût. Les outils propriétaires nécessitent en général un abonnement payant. Les propositions gratuites, quand elles existent, ne sont souvent pas suffisantes pour faire une formation dans de bonnes conditions (durée de session limitée, par exemple). Les outils libres nécessitent un hébergement. Il est possible de trouver des hébergements de BigBlueButton ou de Jitsi.meet qui permettent d’utiliser ces outils. Mais, bien souvent, ils reposent sur des modèles bénévoles et in fine, d’autres personnes que nous doivent bien en supporter le coût.
Au-delà de la plateforme, pour animer formations et ateliers, on peut souvent avoir recours à d’autres outils permettant de faire des murs de post-it, des nuages de mots, des quizz… Et on retombe bien souvent sur les mêmes questionnements et problématiques : besoins, facilité d’utilisation, coût, éthique.
On aura beau faire le choix d’outils le plus rationnel et réfléchi, il y aura toujours des participant·es pour qui ça ne marchera pas ou mal. Pour les diminuer au maximum, pour mes futures FOAD, j’ai posé les conditions suivantes :
- Les participant·es doivent avoir le matériel suivant : un ordinateur, avec webcam, casque et micro externe, une connexion internet de qualité suffisante, un navigateur à jour, dans une pièce silencieuse. J’ai bien conscience que tout le monde n’a pas forcément ce matériel à disposition, mais cela me paraît important de poser par écrit certaines conditions de réussite et de confort. Si elles ne sont pas réunies et que ça ne fonctionne pas, ce n’est pas de ma responsabilité.
- La possibilité de faire des tests de la plateforme en amont. Dans l’idéal, les tests peuvent se faire en autonomie (c’est possible sur l’outil Adobe connect), mais il est souvent nécessaire de définir des créneaux définis. Je définis avec mes client·es qui s’en occupe et si c’est moi, je facture ce temps de test.
- d’être accompagnée pendant la formation à distance, au moins la première heure, par une personne (par exemple de la bibliothèque départementale qui organise la formation) qui prend en charge les soucis techniques. Il est en effet impossible d’animer une FOAD et de tenter de résoudre les dysfonctionnements techniques en même temps.
- J’envoie en amont un tuto de connexion et d’utilisation de la plateforme et je commence la première classe virtuelle par des petits jeux qui permettent de prendre en main les principales fonctions.
La difficulté de faire groupe
Ce que j’ai trouvé le plus difficile, avec la FOAD, c’est de créer du lien avec et entre les participant·es. On n’a pas les temps informels conviviaux autour d’un café d’accueil, on ne se retrouve pas dans le même espace physique… J’ai trouvé pour ma part que c’était la difficulté principale de la FOAD. J’ai trouvé ça beaucoup plus facile quand j’ai fait du distanciel avec des groupes que je connaissais déjà pour leur avoir donné des formations avant le premier confinement.
Je crois que c’est important de mesurer cette difficulté pour voir comment en amont de la première classe virtuelle ou dès le début, on peut créer du lien. Quand j’ai animé une FOAD autour de l’animation en bibliothèque, ça a été une de mes erreurs : passés les premiers jeux d’appropriation de la plateforme, je suis passée sur une partie théorique. Malgré la règle des 10 minutes, on était dans un schéma très descendant et les participant·es ont commencé à créer du lien quand je les ai fait travailler en demi-groupe dans la deuxième moitié de la classe virtuelle.
Pour qu’une FOAD se déroule dans de bonnes conditions, la jauge doit être moins importante qu’une formation en présentiel. De par mon expérience, je trouve que l’idéal est entre 6 et 8 personnes.
Calculer ses tarifs
Faire un devis pour de la formation en présentiel, je sais faire : le calcul à la journée, l’intégration des frais, etc. En distanciel, c’est compliqué de calculer à la journée, avec ce principe de temps synchrones et asynchrones, assorti d’un important travail de préparation sur le déroulé pédagogique et des divers outils. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec différentes collègues formatrices qui m’ont donné des axes de réflexion intéressants. Il a par exemple été question de faire un tarif au nombre de participant·es, puisque la FOAD nécessite un suivi individuel plus important que la formation en présentiel, notamment à cause du travail asynchrone. Donc, plus on a de participant·es, plus on augmente le temps de travail entre les classes virtuelles. Dans mon cas, je trouve ce mode de calcul difficile à faire passer aux client·es.
Pour moi, il est important avant tout de bien calculer le temps de travail nécessaire et de tout indiquer sur les devis. Récemment, j’ai fait un devis pour une formation hybride avec une journée en présentiel, un travail asynchrone et une classe virtuelle de deux heures. J’y ai donc mis :
- La journée de formation en présentiel avec les frais (ça, je sais calculer)
- L’accompagnement individualisé par mail, visioconférence ou téléphone (sur rendez-vous) pendant le travail asynchrone, sur une période de temps définie.
- L’animation de la classe virtuelle
Vous remarquerez que je ne donne pas de chiffres. A la relecture de mon devis, je pense que, comme souvent lors de mes premiers devis, j’ai sous-évalué le temps nécessaire. Je le mesurerai donc quand je ferai cette formation pour avoir des calculs un peu plus précis.
J’ai bien précisé sur le devis que je ne prenais pas en charge l’hébergement de la plateforme, ni les tests de connexion, ou alors que ce serait facturé en sus. Amandine m’a également suggéré de facturer le cas échéant le mode d’emploi personnalisé de la plateforme. Je trouve que c’est une bonne idée.
Et maintenant ?
J’ai beau être une geek qui aime ses outils numériques, je crois que je préfère quand même la formation en présentiel, notamment pour les difficultés à “faire groupe” mentionnées plus haut. Je reste également persuadée que tout n’est pas faisable à distance, cela dépend des thématiques, des modalités et du public.
Avec ce qui se dessine, je vais refaire des formations en ligne, que ce soit pour l’ABF, pour l’université de Rennes 2 ou pour les bibliothèques départementales. Je vais faire au mieux avec les conditions matérielles, ce que j’ai pu apprendre et les retours des participant·es pour que chacun·e s’y retrouve. Réflexions à suivre, donc !