Devenir formatrice indépendante : mon parcours
25 août 2021
Cela fait deux ans que je me suis lancée comme indépendante. De plus en plus, des personnes souhaitant elles aussi se lancer me demandent conseil et j’essaye de leur accorder du temps, mais ce n’est pas toujours possible. Alors, j’ai décidé de poser par écrit quelques réponses à des questions qu’il est normal de se poser quand on se lance ou qu’on y réfléchit.
Pourquoi m’être lancée ?
En 2019, cela faisait plus de 15 ans que j’étais bibliothécaire, dont 13 pour la même collectivité. Même si j’avais pu changer de poste et que j’avais de bonnes conditions de travail (des collègues super, une hiérarchie très confiante, une collectivité qui me convenait), j’avais commencé à me lasser au point de ne plus avoir envie d’aller travailler certains jours. La programmation des animations de la bibliothèque était devenue une routine, facile et confortable, certes, mais qui ne me nourrissait plus suffisamment intellectuellement. En parallèle, la lecture de Pourqui brûle-t-on les bibliothèques ? de Denis Merklen et mes diverses réflexions politiques ont commencé à me pousser à sortir d’un service public dont l’évolution ne me paraissait pas conforme à mes valeurs. Comme ce sentiment d’ennui gluant et de manque de sens ne cessaient de s’accroître, je me suis dit qu’il était temps de trouver une porte de sortie, avant que ce mal-être me grignote toute mon énergie.
La première option était de me faire recruter ailleurs. J’ai candidaté sur des postes, mais j’ai vite vu que ce n’était pas la bonne solution : peu de postes intéressants, une région nantaise hyper-concurrentielle où mon CV n’était pas assez solide (notamment sur l’encadrement et la direction de service) et surtout, ça ne me motivait pas plus que ça. J’ai donc réfléchi à ce qui m’enthousiasmait dans la vie, ce qui avait du sens et je me suis centrée sur deux choses : les cours que je donnais pour l’Association des Bibliothécaires de France et les ateliers numériques que j’animais dans le cadre du travail et de mes engagements associatifs. C’est là que j’ai commencé à réfléchir à monter mon activité, autour de la formation et de la médiation numérique. Et dès le début, j’ai retrouvé la flamme perdue : j’avais envie, ça avait l’air passionnant ! Quelques rencontres ou rendez-vous téléphoniques, notamment avec Amandine et Angie, le soutien de mes collègues qui me voyaient bien dans cette reconversion et un peu de calculs financiers ont achevé de me convaincre.
J’ai pris la décision en mars 2019 et je me suis réellement lancée le 1er septembre.
Quel modèle économique ?
J’ai commencé par calculer :
- combien je souhaitais gagner : 1500 € nets minimum, 2000 € nets idéalement
- combien cela représenterait de chiffre d’affaire pour me dégager un tel salaire : entre 42000 et 60000 euros annuels (à la louche, cela dépend notamment du statut juridique choisi)
- A partir d’un tarif qui me paraissait juste (600 € TTC la journée de formation + les frais), j’en ai déduit qu’il fallait que je fasse entre 7 et 10 jours de formation par mois (puisque les deux mois d’été, je ne facture pas).
Sur le moment, ça me paraissait gérable, mais comme toutes les personnes débutant dans l’indépendance, je n’étais pas assez chère et je ne mesurais pas l’ensemble du travail nécessaire autour des journées de formation ! J’avais décidé de mon tarif à la fois en fonction des prix du marché et aussi parce que je débutais et que j’avais peur de ne pas avoir assez de travail. J’ai appris et fait, depuis, plusieurs choses :
- Maintenant, mon tarif est de 800 € la journée + les frais. Certaines personnes me diront encore que je ne suis pas assez chère.
- Si on veut qu’une formation soit rentable, il faut la faire plusieurs fois, ou bien pouvoir en réutiliser des séquences dans d’autres formations ou ateliers. Ma première formation m’a demandé trois semaines temps plein pour être créée (maintenant, je suis plus rapide), si on ajoute l’administratif et la durée de formation elle-même (deux jours), cela réprésente environ un mois de travail. Si vous reprenez les tarifs plus haut, vous voyez bien que ça ne peut fonctionner sur le long terme.
- J’ai cessé de m’éparpiller, voire j’ai supprimé des formations de mon catalogue. Au début, je répondais à toutes les opportunités qui se présentaient (la peur de ne pas avoir assez de travail, encore), mais je me suis vite rendu compte que ce n’est pas viable : créer et entretenir un catalogue de formations, c’est gourmand en temps et en énergie. Plus on propose de sujets et de formations différents, plus ça demande de temps et plus ça peut rogner sur le confort de travail et sur la qualité des formations.
Il faut également noter que mon activité me génère peu de frais : je n’ai pas de local ou d’espace de coworking à louer (je travaille chez moi), pas de matière première à acheter et mes frais de déplacement, hébergement et restauration des formations sont refacturés à mes clientes. Il me reste donc quelques livres ou revues, une ou deux adhésions professionnelles, le nom de domaine et hébergement de mon site, des frais bancaires liés à mon compte professionnel et ponctuellement un achat plus important (comme un ordinateur ou une imprimante). Il faut bien sûr les inclure dans les calculs, mais mon modèle économique n’a, de ce point de vue-là, pas grand chose à voir avec, par exemple, une couturière.
Financièrement, ça va bien, mais c’est aussi lié au fait que, depuis janvier 2021, j’ai un poste de maîtresse de conférence à Rennes 2 à mi-temps. J’ai donc un salaire fixe en plus de ce que m’apportent mes prestations et c’est sacrément confortable.
Être formatrice, est-ce facile ?
Être formatrice, c’est comme être bibiothécaire : c’est un vrai métier, avec son cadre et ses compétences et il ne s’improvise pas. J’avais l’habitude de le faire de façon intuitive et ça marchait plutôt bien. Mais quans ça devient une activité principale, cela ne suffit plus.
Tout d’abord, j’ai découvert à quel point la formation professionnelle continue a un cadre juridique strict et un vocabulaire précis. Pour cela, la coopérative d’activité et d’emploi rejointe en septembre 2019, bien carrée sur le sujet, m’a bien aidé (parfois dans la douleur et dans le stress). J’y ai appris à faire une fiche-programme, poser des objectifs pédagogiques, rédiger un itinéraire pédagogique… Je me suis à la fois nourrie des outils et expériences partagés dans la coopérative, mais je me suis également beaucoup documentée dans des livres ou sur le Web pour intégrer toute cette formalisation.
Être formatrice requiert plein de compétences : de la pédagogique, des connaissances, de l’empathie, de l’adaptabilité, etc. Mine de rien, mes missions d’enseignante auprès de l’ABF et mon travail de bibliothécaire m’ont donné des bases solides en pédagogie et animation de groupe. J’ai beaucoup travaillé ces aspects sur les premières formations, en observant et écoutant des personnes plus expérimentées, et en faisant un débrief systématique de mes premières formations avec Lunar. J’ai aussi beaucoup appris en rejoignant un collectif de formatrices indépendantes en bibliothèque, avec qui nous partageons nos questionnements et expériences.
Je me forme, également. J’ai ainsi participé à plusieurs formations animées par le CAFOC de Nantes autour de l’adaptation des formations présentielles à distance. J’ai également participé à un maximum de journées professionnelles et je fais un très gros travail de veille sur les thématiques que j’aborde en formation.
Être formatrice nécessite ce travail constant de veille, d’apprentissage et d’amélioration. Pour ma part, c’est une partie de mon métier que j’aime beaucoup.
Quelle structure juridique ?
Pour être indépendante, il faut pouvoir éditer des factures et donc avoir un numéro de SIRET. Je suis passée par plusieurs structures juridiques :
- Tout d’abord la CAE (coopérative d’activité et d’emploi) L’ouvre-boîtes de septembre 2019 à décembre 2020.
- L’autoentreprise d’août 2020 à août 2021
- La SARL L’Etabli numérique, créée par mon associé Romain et moi, il y a quelques jours.
J’ai déjà raconté tout mon parcours en CAE ici, je vous laisse en prendre connaissance si ça vous intéresse. Je peux quand même préciser que, pour moi, la CAE est un excellent cadre pour commencer une activité : il permet un accompagnement, sans investissement financier et avec l’intégration d’un collectif solidaire. Ce cadre m’a aussi permis de devenir solide sur tous les aspects administratifs et comptables que nécessite une activité indépendante : c’est sans doute grâce à cette expérience en CAE que je peux, avec une certaine assurance, co-fonder une entreprise comme l’Etabli numérique en 2021.
Combien de temps sans salaire ?
Les 6 premiers mois, j’ai travaillé intensément en facturant peu, la tendance a alors commencé à s’inverser… Et le premier confinement a remis en cause presque tous mes engagements de mars à l’été 2020. J’ai néanmoins commencé à pouvoir me dégager un SMIC à mi-temps à partir de juin 2020 et j’ai augmenté mon salaire en octobre. Pour résumer, il m’a fallu environ un an avant de pouvoir avoir un salaire correct et surtout 9 mois sans ressources : en tant que fonctionnaire en disponibilité, je n’avais aucune prestation sociale. Je suis donc une personne privilégiée qui a pu s’appuyer sur son épargne : cette reconversion est au final aussi un investissement financier !
Quelle organisation familiale ?
Petite remarque en passant : si vous êtes un homme et que vous voulez vous lancer dans l’indépendance, posez-vous aussi cette question.
Etant mère séparée avec deux enfants en résidence alternée, il a fallu que je m’assure que ma future activité était bien compatible avec mes obligations familiales. Je me suis assurée du soutien logistique du père de mes enfants et de ma famille. Un des avantages de mon activité professionnelle est que je connais les dates de mes prestations très en amont, parfois jusqu’à une année auparavant ! C’est donc plus simple pour s’organiser.
Dans un premier temps, j’acceptais des missions à l’autre bout de la France. Maintenant que j’ai plus d’offre que je ne peux en accepter, j’ai réduit mon secteur géographique d’intervention, ce qui est beaucoup plus simple et me permet de façon systématique de pouvoir rentrer à Nantes d’une formation le soir-même.
Et le Covid, alors ?
Mars 2020 était le premier mois où je devais atteindre mon chiffre d’affaire idéal. Autant vous dire qu’à l’annonce du premier confinement, je me suis bien demandé ce que j’allais devenir (professionnellement). La période qui a suivi a été compliquée : j’ai continué à travailler à temps plein, tout en m’occupant de l’école à la maison et en essayant tant bien que mal de ne pas m’effondrer face aux multiples reports et à la charge mentale et émotionnelle. J’ai eu énormément de reports de formation en septembre et octobre, ce qui a créé une rentrée trop chargée.
J’ai réussi pendant cette période à me former, notamment à la formation à distance, j’ai testé une première formation en ligne avec des cobayes. Par la suite, j’ai publié un billet de blog sur le sujet (il m’a apporté pas mal de visibilité), et j’ai adapté pas mal de formation à distance entre l’automne 2020 et l’été 2021. Grâce à toutes ces expériences, je suis maintenant au clair sur ce que je peux proposer de qualitatif à distance.
Pourquoi ça marche ?
Alors ça, c’est une question compliquée.
Le fait que “ça marche” s’entend, selon moi, sur deux aspects : tout d’abord que mon nouveau travail me convienne et ensuite que ça tienne financièrement. Pour le premier, l’indépendance est pour moi une révélation : ne plus dépendre d’une organisation qui décide pour moi de mes horaires, même si les risques d’auto-exploitation sont grands est un plaisir sans cesse renouvelé. Et je m’éclate à faire ce que je fais.
Pour l’aspect financier, si j’essaye d’avoir un peu de recul, je dirais qu’il y a eu plusieurs éléments qui ont joué :
- J’ai beaucoup travaillé. Vraiment beaucoup. Et maintenant j’insiste sur la différence entre travailler et facturer.
- J’ai, sans forcément que ce soit formalisé dans ma tête, intégré la question de la concurrence. Dans ce secteur, il restait de la place pour des nouvelles professionnelles comme moi, notamment sur des thématiques comme la médiation numérique où nous ne sommes pas si nombreuses. A titre d’exemple, la formation issue de mon catalogue qui a le plus tourné (et qui m’assure une part substancielle de mon chiffre d’affaire) est celle autour de l’accompagnement aux démarches administratives en ligne. Au début, j’ai réussi à la placer car j’étais seule à candidater sur ce sujet, et maintenant que mon nom a tourné, on me propose régulièrement de venir l’animer.
- J’ai soigné ma présence numérique : très active sur Twitter, suffisamment sur Facebook et avec un site et un blog régulèrement mis à jour. J’ai au moins eu une de mes premières prestations par ce biais, et je sais que quand les potentielles clientes me cherchent, mon identité numérique est rassurante pour elles.
- Pour trouver mes premières prestations, j’ai répondu aux marchés publics des bibliothèques départementales. Cela demande un gros travail administratif, sans aucune garantie de réussite, mais j’ai réussi néanmoins à décrocher quelques contrats par ce biais.
- Le réseau est très important et il faut en prendre grand soin. J’ai eu la chance d’avoir Amandine à mes côtés qui m’a transmis des offres (et notamment ma toute première prestation de formation !) et le réseau issu de ma vie professionnelle précédente m’a aidée à avoir des contacts, qui ont parfois débouché sur des propositions.
Quelles difficultés ?
Je peux donner l’impression de brosser un tableau très positif de cette reconversion. Mais il y a eu de nombreux moments de doute et d’angoisses diverses.
J’ai eu par exemple beaucoup de difficultés liées à ma modeste confiance en moi. Je me sentais parfois isolée, avec la peur de ne pas être à la hauteur. J’ai trouvé compliqué de ne pas avoir de syndrome de l’imposteur, qui pousse à la dévalorisation ou à la surpréparation. Pour m’aider, j’essaye d’expliciter avec mes clientes ce qui est attendu et le cadre, ce qui me permet souvent de me rendre compte que je veux faire plus, faire mieux et que je me mets une pression supplémentaire, qui n’est absolument pas attendue en face. Je fais aussi régulièrement, quand le moral est en berne, des rétrospectives de ce que j’ai fait et surtout de ce que j’ai fait bien. Pour cela, les évalutations des participantes à mes formations sont d’excellents outils de valorisation !
Maintenant, je suis beaucoup plus à l’aise : j’ai appris à me connaître, je sais quelles sont mes forces et faiblesses, de quoi j’ai besoin pour me sentir rassurée et je sais que mon travail a de la valeur. Mais, régulièrement, les doutes m’assaillent : je crois que la lutte contre le syndrome de l’imposteur n’est jamais terminée.
On m’avait, au début de ma reconversion, mentionné deux difficultés : l’isolement et la part d’administratif. Le premier n’a pas été trop dur pour moi car je me suis toujours sentie entourée (mais je suis contente, avec l’Etabli numérique, d’intégrer un collectif à deux). Par contre, le second a été, il est vrai, un peu pesant. Aussi, je me prévoyais des créneaux de travail administratif où je mettais dans mes oreilles des groupes de métal que je ne connaissais pas, histoire de ne pas avoir l’impression de perdre mon temps.
Enfin, une des grosses difficultés auxquelles j’ai été confrontée est celle du temps de travail. En effet, il est très compliqué, surtout au début, d’évaluer le temps nécessaire pour faire telle formation ou telle tâche. Et c’est donc difficile de faire des devis justes, mais aussi de mesurer quand il faut dire non à des propositions pour éviter la surcharge. En outre, j’ai trouvé que la distinction entre temps professionnel et temps personnel est très complexe à marquer. J’ai mis du temps à prendre de vraies vacances et à ne pas culpabiliser à l’idée de ne pas consulter mes mails tous les jours. Ma prochaine étape sur ce point est d’avoir un second numéro de téléphone, afin de distinguer mon portable perso de mon portable pro et ainsi pouvoir couper ce dernier quand je ne travaille pas.
Et si c’était à refaire ?
Vous l’aurez compris, je suis ravie de cette reconversion, qui me permet de retrouver un plaisir à travailler. Actuellement, je me sens bien et solide dans ma vie professionnelle. Si j’avais deux choses à faire un peu différemment :
- Je me ferais plus confiance (ça c’était la partie “facile à dire”).
- Je ferais une formation de formatrice afin d’avoir les bases et de ne pas devoir les acquérir de façon informelle.