Nous sommes le 12 septembre 2025 et pour moi, c’est une vraie rentrée : je retourne sur les bancs de l’université de Nantes pour entamer un Master 2 de sociologie Santé et conditions de travail . J’avais envie de raconter cette expérience, pour qu’elle puisse servir à d’autres (et aussi parce que j’aime bien raconter ma vie).
J’ai par ailleurs demandé sur mon compte Mastodon à quelles questions il serait pertinent que je réponde, et voici donc un premier billet qui retrace le cheminement entre les premières réflexions et la candidature au Master, entre fin 2024 et début-juin 2025.
Un peu de contexte
Fin 2024, alors salariée de la coopérative l’Établi numérique, nous décidons avec mon collègue Romain qu’à l’été 2025, nous allons arrêter notre activité, principalement pour des raisons économiques. À la moitié de ma carrière professionnelle, me voici donc face à une question quasi-existentielle : que faire par la suite ?
Dans un premier temps, me vient en tête surtout ce qui ne me donne pas envie :
- redevenir cadre dans la fonction publique, alors que la situation du service public se dégrade ;
- continuer à être formatrice, alors que les formations que j’anime sont appréciées, mais ne provoquent pas la transformation sociale que je vise et que je commence à m’y ennuyer ;
- poursuivre un travail où je dois aller chercher des client·es, alors que je me sens fatiguée, que j’ai perdu la flamme ;
- remonter un collectif de travail alors qu’avec Romain, c’était si bien, mais qu’on n’a pas réussi à trouver un modèle économique satisfaisant et que c’est forcément frustrant ;
- continuer à travailler sur les enjeux numériques, alors qu’avec la montée en puissance du techno-fascisme, j’ai l’impression qu’on a perdu et que ça ne sert plus à rien ;
- et je m’interroge même sur la pertinence de poursuivre un travail militant dans le cadre professionnel et me met à rêver d’un travail purement alimentaire avec lequel je garderais une saine distance (oui je sais, c’est une fiction).
Donc, fin 2024, ce n’est pas la joie. Mais heureusement, je suis bien entourée. Un ami me rappelle que régulièrement, j’exprime du regret de ne pouvoir reprendre mes études pour devenir sociologue et que l’arrêt de l’Etabli ouvre cette possibilité. C’est à moitié une blague, mais quand même, ça vient planter une petite graine de réflexion dans ma tête.
Se dire que c’est possible
Cette envie de devenir sociologue vient de loin. En 2002, je découvre la sociologie urbaine en Maîtrise de droit et c’est une révélation. Devenue bibliothécaire, les sciences humaines me permettent d’acquérir plus de réflexivité sur mon métier (la lecture de Pourquoi brûle-t-on les bibliothèques de Denis Merklen, par exemple, est un choc). Les chercheur·euses invité·es dans les podcasts féministes me permettent de chausser de nouvelles lunettes sur le monde qui m’entoure. Au sein de l’Établi numérique, nous construisons une bibliothèque dans laquelle je me nourris. Et au milieu de tout ça, je me rêve parfois chercheuse, car moi aussi, j’aimerais pouvoir enquêter et contribuer à une meilleure compréhension du monde. Mais je n’imagine pas ça possible.
Il m’a fallu plusieurs mois de réflexions pour aborder la reprise d’études comme une possibilité réaliste. Pour cela, des proches encourageant·es, que ce projet ne surprenait pas et des retours d’expérience enthousiastes de reprises d’études ont été autant de petites pierres qui l’ont peu à peu rendu tangible.
Mes contraintes matérielles
Je suis mère de deux adolescent·es, qui habitent la moitié du temps chez leur père, la moitié chez moi. J’habite dans la banlieue d’une grande ville étudiante (Nantes). J’ai la quarantaine, je vois bien que je me fatigue plus facilement qu’avant et mes migraines chroniques m’obligent à avoir le rythme de vie le plus régulier possible. J’ai de l’épargne, un CPF plein, de modestes droits au chômage pendant plus d’un an après la fin de l’Établi numérique et une situation matérielle relativement confortable (par exemple, j’ai un remboursement de prêt qui me coûte vraiment moins cher qu’un loyer). Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que pour reprendre ses études, il faut que ce soit possible matériellement.
Au vu de ma situation familiale, je ne peux pas déménager et je ne me sentais pas capable de faire des trajets quotidiens pour aller par exemple à Rennes ou Angers. Cela aurait été trop fatigant et je ne suis pas sûre que j’aurais tenu. J’ai bien sûr réfléchi aux études à distance, mais je n’en avais pas du tout envie. C’était important pour moi d’intégrer un collectif qui interagit dans le monde tangible, je ne me voyais pas passer des heures et des heures en visio ou sur un Moodle et je suis bien placée pour savoir ce que permet et ne permet pas le distanciel d’un point de vue pédagogique.
Les études devaient donc se dérouler à Nantes. Heureusement pour moi, j’habite une ville avec une très large proposition d’enseignement supérieur.
Ma situation familiale a été aussi très aidante. Mes enfants sont adolescents, autonomes dans leurs déplacements et il n’y a donc pas de périscolaire ou babysitting à prévoir. Par exemple, s’iels étaient toujours en école élémentaire ou maternelle, les horaires de périscolaires auraient été incompatibles avec des cours à 8h ou au-delà de 17h30. Il aurait fallu trouver d’autres solutions. L’organisation de la garde alternée est très souple, il est possible dans une certaine mesure de l’adapter à mes contraintes et nous avons les quatre grand-parents disponibles et à proximité en cas de besoin.
Il me fallait aussi payer ma formation et subvenir à mes besoins pendant son déroulement. Je me disais qu’entre mon CPF et mes droits aux chômage, j’allais réussir à m’en sortir, mais avant de faire des calculs plus fins, il me fallait choisir la formation elle-même.
Choisir la formation
J’ai tout d’abord demandé autour de moi, notamment chez mes ami·es et contacts qui travaillent pour l’enseignement supérieur. Assez vite, j’ai éliminé certains établissements, soit parce qu’ils ne faisaient que de la formation initiale (en reprise d’études, je relève de la formation continue), soit qu’ils ne correspondaient pas à mes aspirations (par exemple le CNAM qui forme surtout aux métiers des ressources humaines). Assez vite, je me suis concentrée sur l’université de Nantes, qui propose plusieurs Masters de sociologie, dont un sur le travail.
J’ai réussi à trouver un·e ancien·ne élève sur Mastodon, qui m’en a confirmé la qualité. Je suis allée aux journées portes ouvertes de l’Université, j’ai rencontré un étudiant de deuxième année, le co-directeur du Master et, vraiment, je me suis dit que c’était exactement ce Master qu’il me fallait. Il est en effet orienté vers l’amélioration des conditions de travail du point de vue des salarié·es et j’avais l’impression que mon profil pouvait les intéresser. En outre, il est professionnalisant et ouvre aussi aux métiers de la recherche, ce qui correspond à mon projet professionnel. Enfin, il y a un stage indemnisé en première année, la seconde se fait en alternance, ce qui matériellement me permet d’aborder cette reprise et la suite plus sereinement.
Combien ça coûte ?
Je savais bien que le montant des frais universitaires en formation continue n’a rien à voir avec le montant demandé pour des personnes en formation initiale. Cependant, je ne m’attendais pas à ce que le service formation continue m’annonce que les deux années de Master coûtent 10000 euros (4000 la première année, 6000 la seconde). Certes, j’avais 5000 euros sur mon CPF, mais le complément représentait une somme conséquente. Heureusement, il existe un tarif pour les demandeuses d’emploi indemnisées à 1000 euros par an, payable par le CPF, dont j’allais pouvoir bénéficier. Depuis, j’ai appris que, la deuxième année étant en alternance, les frais de cette année sont pris en charge par l’employeur.
Pour subvenir à mes besoins pendant la durée de la formation, ça a été plus compliqué à calculer. Je vous ai mis tout le détail dans les deux paragraphes suivants, mais si vous voulez les sauter, retenez juste que ça m’a demandé beaucoup de recherches sur mes droits, de démarches diverses, quelques sueurs froides, mais qu’au final, ça passe, c’est un peu juste, mais ça passe… Et qu’avoir de l’épargne me permet d’y aller sans la peur de me retrouver en difficulté.
Normalement, quand on est indemnisé·e par France Travail, on ne peut percevoir les ARE (allocations de retour à l’emploi) et aller en formation, sauf dans certains cas. De mon côté, je souhaitais faire la formation à plein temps, sans avoir d’activité professionnelle à côté, pour ne pas m’épuiser. Il fallait donc impérativement que je puisse bénéficier de l’AREF, Allocation d’aide au retour à l’emploi en formation. J’avais lu que si je payais ma formation avec mon CPF, cela permettait d’obtenir l’AREF, mais comme je ne fais pas confiance à France Travail, cela ne m’a pas tranquilisé pour autant. Je me suis donc inscrite à France Travail, j’ai pris rendez-vous avec ma conseillère et elle a validé sans difficulté que si j’étais prise en formation, je pourrai bénéficier de l’AREF, sous réserve de mes droits à indemnisation. Je m’attendais à devoir batailler, mais pas du tout.
J’ai calculé sur le simulateur de France Travail le montant potentiel de mon indemnité, insuffisant pour vivre, mais que je pouvais espérer compléter avec la prime d’activité, car l’AREF est considérée comme un revenu professionnel (car dans le cadre d’une formation professionnelle). L’AREF, la prime d’activité et les indemnités de stage perçues pendant la première année mises bout à bout étaient un peu justes pour couvrir mes besoins matériels, mais en faisant attention et en économisant au maximum sur les derniers salaires de l’Établi numérique, la prime de rupture conventionnelle et le remboursement de mon capital, je devrais réussir à couvrir mes dépenses sans piocher dans mes réserves.
Vous suivez toujours ?
J’ai également réfléchi à comment assurer ma sécurité matérielle au-delà de mes deux années de Master. Mon projet est de poursuivre par un doctorat ou de trouver un travail, par exemple dans un cabinet de conseil qui intervient à la demande des CSE. La deuxième année en alternance permet d’être considérée comme salariée, de cotiser à nouveau pour des droits à l’assurance chômage et ainsi de sécuriser une période éventuelle de recherche d’emploi consécutive à la fin du Master.
Mon âge
Je vais me retrouver dans une promotion où majoritairement, les étudiant·es auront une vingtaine d’années de moins que moi. On me demande souvent comment je me sens vis à vis de ça. Je me souviens bien, en tant qu’ex-enseignante à l’université de rennes 2, combien les formations mixant formation initiale et reprise d’études permettent des échanges intergénérationnels riches. J’ai donc plutôt hâte de rencontrer mes camarades, en étant vigilante à ne pas me mettre dans une posture maternaliste. On verra ce que ça donne !
Par contre, ça m’a fait tout drôle quand j’ai réalisé que France Travail allait me considérer comme Senior à 45 ans et que l’entreprise qui m’emploiera en alternance peut bénéficier à ce titre d’aides publiques. Cette catégorisation dans la rubrique Senior et donc, potentiellement plus en difficulté pour trouver un travail a fait monter une petite inquiétude tout à fait légitime sur ma future employabilité, que je n’avais pas avant.
Qu’est ce que ça m’apporte de beau ?
Ce projet de reprise d’études est vraiment loin d’être anodin. Déjà, je suis hyper fière de tenter l’aventure et de faire quelque chose que j’imaginais impossible. Ma mère avait repris ses études à peu près au même âge, j’ai toujours trouvé ça admirable, à mon tour !
Je suis très fière de ce qu’on a fait avec l’Etabli numérique, et avec ce projet, j’ai l’impression de transofrmer un truc nul (l’arrêt de notre structure) en un truc super, nourri de tout ce qu’on a construit comme réflexions avec Romain ces dernières années. Une forme de continuité…
J’ai aussi cette sensation très agréable d’être au bon endroit. Je me sens alignée avec mes besoins et mes valeurs. Et là-dessus, je fais confiance à mon intuition qui me dit que ce chemin est un bon chemin.
La candidature à Monmaster.gouv.fr
J’ai candidaté en première année de Master de sociologie santé et conditions de travail, donc. Je n’ai pas candidaté ailleurs, puisque c’était vraiment la seule formation qui répondait à mes contraintes et avec laquelle je me sentais vraiment enthousiaste. Toutes les candidatures se passent sur une plateforme, Monmaster.gouv.fr. J’ai donc retrouvé tous mes diplômes, mes relevés de notes du bac à la maîtrise et tous mes justificatifs d’activité professionnelle et tout mis en ligne.
Puis j’ai construit ma cadidature elle-même, qui consiste en une lettre de motivation. Pour celle-ci, j’ai tenté de me mettre dans la peau des personnes du comité de sélection en m’appuyant sur mon expérience d’enseignante à l’université de Rennes 2. J’ai donc écrit une lettre qui répondait à trois questions :
- en quoi cette candidature est-elle cohérente avec mon parcours professionnel ?
- pourquoi la sociologie ?
- comment j’envisageais concrètement la reprise d’études ?
J’ai glissé dans la lettre tous les éléments qui pouvaient montrer ma motivation : mon contact avec le service formation continue, ma présence aux portes ouvertes de l’université, ma recherche de stage… Je l’ai fait relire, notamment à des personnes qui ne me connaissent pas, mais qui ont déjà participé à ce genre de sélection. J’ai intégré leurs retours et j’ai déposé ma candidature.
Et j’ai attendu. C’était long !
Le 2 juin, je me suis connectée à monmaster.gouv.fr… Et j’ai appris que j’étais refusée, pour “défaut de motivation”.
Vous vous en doutez, cette histoire a une suite, puisque je reprends effectivement mes études, mais en Master 2. Je prévois de vous raconter la suite dans un autre billet de blog et vous parler plutôt de l’inscription elle-même, de la recherche d’alternance et de la préparation de la rentrée.