Lecture - Te plains pas, c'est pas l'usine, de Lily Zalzett et Stella Fihn
26 août 2020
J’ai fini récemment Te plains pas, c’est pas l’usine de Lily Zalzett et Stella Fihn. Ce livre d’une centaine de pages qui traite de l’exploitation en milieu associatif est conçu comme un outil de lutte, destiné aux salarié·es d’associations. Mais je pense que toutes les personnes dans des associations ayant des salarié·es devraient en prendre connaissance. J’avais déjà une vague idée des conditions de travail en association, mais cet efficace travail de synthèse m’a permis d’y voir plus clair.
Les deux autrices ont toutes deux subi ou observé l’exploitation en milieu associatif, ce milieu où il n’est pas accepté d’exprimer une souffrance au travail puisqu’on y est du bon côté. Au-delà des destins individuels, faits de pression, de démission ou d’abandon de poste, elles ont récolté de nombreux témoignages et analysé le fonctionnement des associations suivant deux axes qui s’entrecroisent : leurs rapports de pouvoir internes et leur fonctionnement vis à vis des institutions publiques, notamment la délégation de missions de service public au secteur associatif et leur financement.
L’histoire des associations est une longue histoire de frictions entre l’Etat et des vélléités émancipatrices. Avec le modèle associatif, créé par la loi Waldeck-Rousseau de 1901, l’Etat garde sous contrôle des projets, notamment issus de la classe ouvrière. Mais, à partir des années 1970, le secteur associatif prend son essor et, peu à peu, on assiste à un transfert vers ces associations de missions qui relevaient alors de l’Etat. Les autrice ici citent plusieurs exemples pour appuyer leur propos : SOS-Racisme pour la “pacification des banlieues”, la CIMADE pour la “gestion” des immigrés ou bien la Ligue de l’ensignement pour l’éducation populaire. Néanmoins, les associations gardent une certaine autonomie pendant deux décennies, jusqu’à la mise en place des financements par projet.
Alors qu’auparavant, une association demandait une subvention dite “de fonctionnement”, destinée comme son nom l’indique à “fonctionner”, il faut maintenant financer des projets. Cette irruption de la logique de marché a complètement bouleversé le fonctionnement des assos, jusqu’à en faire perdre le sens. Les associations se retrouvent ainsi en concurrence face à des appels à projet et dépendante des objectifs fixés par les commanditaires. Cela a un impact direct sur les conditions de travail au sein des structures : la vision à long terme en est diminuée et cela oblige des travailleur·ses, précaires pour la plupart, à constituer, pour leur employeur, des dossiers de subvention pour pérenniser leur emploi (bonjour la pression…).
Je savais que la précarité est importante dans le secteur associatif. Quand je cherchais à quitter les bibliothèques et avais imaginé travailler dans l’associatif (le côté du “Bien”, donc), j’avais été impressionnée par le nombre de contrats précaires, notamment de services civiques, sur des postes en lien avec la médiation numérique. Les chiffres mis en avant par Lily Zalzett et Stella Fihn sont particulièrement éloquents : “en 2018, seuls 28 % des embauches se faisaient en CDI, contre 52 % dans le privé hors associations”. Les associations sont des grandes utilisatrices des contrats dits “atypiques”, comme les contrats aidés qui varient en fonction des réformes ou des temps non-complets. Le recours à d’autres formes de travail sont aussi de plus en plus importants : l’auto-entreprenariat mais aussi des contrats qui flirtent avec le bénévolat, comme les services civiques ou le SNU, service national universel. Cette précarité touche plus particulièrement les femmes et les personnes racisées… Alors que les instances décisionnaires comme les conseils d’administrations sont beaucoup plus blanches et masculines.
Il existe des méthodes managériales similaires au secteur privé lucratif mais avec une différence de taille. Dans l’associatif, on travaille pour l’intérêt général, du côté du “Bien” et il n’y a donc “pas de quoi se plaindre”. Les employé·es revêches sont ainsi culpabilisé·es par un “patron” qui n’en est pas vraiment puisqu’il est lui aussi du côté du “Bien”. Si tu n’es pas investi·e, que tu comptes tes heures, tu remets en cause la grande famille associative…
J’ai découvert dans ce livre le principe des “travailleur·ses pairs”. Ce sont des personnes recrutées en raison de leur expérience de vie : ancien·ne usager·e de drogues, habitant·e d’un quartier (ça me rappelle le recrutement de certains médiateurs en bibliothèque)… On recrute cette personne en raison de ce qu’elle est, l’association améliore son image, bénéficie de financements, et imagine que cela va améliorer les relations avec les bénéficiaires. Pour autant, elles sont peu intégrées dans le collectif de travail, car vues comme peu sensible aux enjeux de l’asso et, par exemple “l’habitant de Cité” de service. Comme ce sont les plus précaires, ce sont les premières à qui on propose une exploitation illégale : du bénévolat en attendant le prochain contrat, une période de chômage pour rentrer dans les cases du contrat aidé. Si ces personnes sont renvoyées, ce sont alors elles en tant que personnes qui sont remises en cause.
Suite à la lecture de ce livre, on m’a recommandé cette émission ou la sociologue Maud Simonet analyse au prisme des grilles féministes la question du travail gratuit. C’est précis et pertinent, je recommande. On m’a également parlé de la conférence gesticulée sur les conditions de travail en milieu associatif, que je n’ai pas encore pris le temps de regarder.
Pour commander Te plains pas, c’est pas l’usine, c’est par ici